Conférence animée par Serge Tisseron, psychiatre, docteur en psychologie le 9 juin 2015 à Toulouse.
CR rédigé par Laura Lacorre, Lucie Ledos et Hélène Mulot.
Format de l’intervention : conférence collaborative sur le modèle de ce qui se fait sur Internet. Vous avez une question, vous cherchez une réponse précise, comme sur les forums. De plus en plus, dans les conférences, rencontre avec des experts et des gens qui connaissent les sujets abordés, importance de les partager et d’échanger dessus.
Programme :
- Quels changements sur l’apprentissage, le fonctionnement psychique ou la sociabilité ?
- Quelles conséquences sur la famille ?
- En quelques années, les technologies numériques ont bouleversé notre vie publique, nos habitudes familiales et même notre intimité. Les parents et les pédagogues sont souvent désorientés. Comment apprivoiser les écrans et bien grandir ?
« 3-6-9-12 » une règle ? Au départ, c’était en effet le terme utilisé, désormais, S. Tisseron parle plutôt de balises, de repères amenés à changer. Incitation au débat, la controverse.
Les écrans ne s’ajoutent pas à notre vie, ce n’est pas juste une possibilité de plus. Ces objets entraînent une construction différente des identités et un rapport différents au savoir. Serge Tisseron aborde plusieurs grands bouleversements dans la relation aux savoirs, la construction de l’identité, l’estime de soi et la sociabilité avec l’avènement des écrans.
Construction verticale des savoirs .
Écrire sur Wikipédia confronte à l’écriture et à la publication collaborative et permet de parler d’Internet autrement. Internet, on le fabrique, on le crée. C’est un outil de co-construction des savoirs et de dépôt de ses créations. Cela permet de voir que Wikipédia est un espace organisé. Internet est un outil d’échange d’idée permanente..
Mutualisons les connaissances dans les familles : les parents devraient plus « utiliser » leurs ados pour se former à internet
Intelligence viso-spatiale mise en avant.
L’enjeu des apprentissages réside dans les capacités à passer d’une intelligence à l’autre en incitant les enfants à raconter ce qu’ils voient ou font sur les écrans et dans les capacités de création de l’enfant en utilisant leurs propres pratiques.
- Mode de lecture multimédia (lire une BD texte/image ne pose aujourd’hui problème à personne ce qui n’était pas le cas, il y a une 50taine d’années)
- Travail d’une intelligence à l’autre primordial : raconter un film, un dessin animé, dessiner un livre, faire un booktrailer… passage du viso-spatial au verbal. Faire raconter, « raconte-moi ».
- Apprendre à utiliser les subtilités de la langue pour développer un discours crédible. Si l’adolescent raconte qu’il jouait à Minecraft alors qu’il était sur GTA (Grand Theft Auto ), ce mensonge n’est pas très grave, le principal pour S. Tisseron c’est qu’il soit capable de mettre en place une stratégie pour être crédible.
- Faire faire des photos, tout petit de ce qu’aime faire l’enfant (un gâteau qu’il vient de réaliser) : la création commence par là.
Pour les 3-6 ans, c’est une période d’imitation, durant laquelle il est important de leur montrer les objets à utiliser. Si soi-même on fait souvent des photos, ne pas hésiter à offrir un appareil à photo. Utiliser soi-même les jeux et jouets. Jouer un peu avec l’enfant permet qu’il intériorise notre présence quand il joue seul.
MAIS attention à ne pas stigmatiser les jeux : souvent, si l’enfant sort spontanément la tablette, c’est pour attirer le parent car il a compris qu’avec elle, le parent sera là. Il va vite comprendre aussi que le parent « râle » devant un jeu de cube ou de société mais qu’il est plutôt ravi de « jouer » à la tablette. Le temps de jeu avec la tablette doit correspondre au temps que l’on aurait passé à jouer à un autre jeu.
- Utiliser des logiciels adaptés c’est-à-dire qui nous amusent et surtout pas qui nous ennuient. L’enfant va alors construire une estime de soi positive car il pensera que c’est lui qui nous rend heureux.
- Privilégier les jeux à plusieurs. S. Tisseron est plutôt contre l’équipement en tablettes individuelles et rappelle l’importance de la confrontation. S’il est seul face à un écran, l’enfant devant une difficulté ou une question va avoir tendance à aller sur Wikipédia, à chercher la réponse et donc entrer dans une forme de pensée commune en perdant sa pensée propre. L’outil numérique est un support d’échange (y compris verbal), de discussion. D’ailleurs, les enfants le font spontanément en choisissant d’être à deux sur un ordinateur ou une tablette.
- Il faut des appareils connectés, aucun objet numérique est hors connexion…(sauf peut-être dans les établissements scolaires !). Les écrans, c’est tous les savoirs du monde. Le papier est à privilégier pour la pensée personnelle.
- Être à l’écoute. Le repas du soir doit être un moment où la famille entière est disponible pour échanger sur les écrans. Définir ce temps de disponibilité collective en famille pour que les uns profitent de ce que les autres vont dire : faire écouter les plus jeunes sur les pratiques des plus grands. (moment du coucher doit rester un moment plus intime)
Contextualiser le temps passé sur l’écran.
Que fait-on ? Consommateur ou créateur ? S. Tisseron rappelle que la durée d’utilisation des écrans est un mauvais critère car l’important est l’utilisation que l’on en fait. Il incite sur la nécessité de limiter les durées d’utilisation des écrans et ainsi créer des balises de temps.
- Avant 10 ans, 1h30 d’écran par jour est un maimum (tous écrans confondus y compris Smartphone des parents – pas de téléphone 3/4G avant 8 ans) mais préférable d’avoir une régulation hebdomadaire en invitant à l’auto-régulation via par exemple un petit carnet dès 8-9 ans. Même s’il triche, l’enfant va raisonner en termes de temps : associer l’écran au temps, à une durée car perte de la notion de temps. Parler du temps passé devant un écran, permet d’associer consommation et temps. Fixer ce temps permet aussi de réguler ensuite des balises pour l’adolescence.
- Etablir des règles collectives : horaire auquel on coupe la wifi, laisser tous les téléphones (y compris les parents) sur la table du petit déj. Opposer petits et grands, enfant et parents ne marche plus, au contraire décider d’apprivoiser ensemble les écrans.
- Développer des pratiques de création reconnues par l’adulte. La fracture numérique se situe aujourd’hui entre ceux qui utilisent le numérique de manière créative et ceux qui le consomment (plus que digital natives, plus que jeunes/vieux). L’avenir appartient à ceux qui sauront innover.
- Effets malveillants… quels arguments ?
La TV rend passif et consommateur. Un argument auquel les parents sont sensibles c’est qu’un enfant qui regarde trop la TV a 10% de risque de plus d’être plus tard un bouc émissaire, spectateur du monde.
Les écrans LED actuels des tablettes et smartphones perturbent le sommeil avec un sommeil moins réparateur.
Construction de l’identité
Construction d’une image autre que celle que les parents imposent. Lors de la prise de photo, on cherche une image parfaite « coiffe toi, souris, essuie ta bouche…), le selfie c’est la réappropriation de cette image en rupture avec celle construite par les parents. Développement de la narrativité. Construction aussi de l’interculturalité avec plusieurs identités.
La mémoire
La mémoire évènementielle est réduite (n° de téléphone, adresse, titre d’un livre…) mais se développe une mémoire qui permet de retrouver une information et de la stratégie nécessaire : mémorisation spatiale.
Le mode de mémorisation et l’attention est en train de changer. Il faut s’adapter en privilégiant des outils stimulants l’hyper-attention plutôt que l’attention de longue durée. Compensation de la « deep attention » par la disponibilité permanente.
Pour aller plus loin :
- Un résumé de l’intervention de Serge Tisseron.
- Tisseron Serge, 3-6-9-12 Apprivoiser les écrans et grandir, Toulouse, ERES « 1001 et + », 2013, 136 pages.
ISBN : 9782749238975. - JF Bach, O Houdé, P Léna, S Tisseron, L’enfant et les écrans. Un avis de l’Académie des sciences, Le Pommier 2013.
- Une vidéo de l’interview de Serge Tisseron : 3 questions à Serge Tisseron « APPRIVOISER LES ECRANS ET GRANDIR »
- Le site « Apprivoiser les écrans » dans lequel nous trouverons des idées pour développer les pratiques de créations chez l’adolescent comme le Festival Infilmementpetit