Synthèse, réflexions et analyse critique de l’ANDEP sur la lecture croisée des textes de la DGESCO, du SNES et de la FADBEN concernant la nouvelle circulaire de missions des professeurs documentalistes.
Texte de référence :
DGESCO :
http://www.snes.edu/IMG/pdf/PROJETDGESCODU31MAI.pdf
http://www.snes.edu/IMG/pdf/Projet-circulaire_Professeurs-documentalistes_08-06-2010.pdf
http://www.snes.edu/IMG/pdf/Circulaire_Documentalistes-missions_2010.pdf
SNES:
http://www.snes.edu/IMG/pdf/projet_circulaire_de_missions_dgesco_amende_par_le_snes-fs_.pdf
http://www.snes.edu/IMG/pdf/blanquer_degesco_juin_2010-1.pdf
FADBEN:
http://www.fadben.asso.fr/spip.php?article122
Cette synthèse reprend les éléments essentiels de la nouvelle mouture de la circulaire de missions proposée par la DGESCO (3 premiers textes de mai et juin 2010 ainsi que la dernière mouture du 18 janvier 2011). Cette synthèse présente également les apports éclairés de la FADBEN mais aussi du SNES FSU. Elle met en évidence les différences fondamentales de postures et les contradictions des différentes versions.
Enfin cette lecture critique veut aussi mettre en évidence la position de l’ANDEP face au texte de la DGESCO. En tant qu’association professionnelle, nous manifestons notre volonté de relire le texte officiel à la lumière d’autres publications récentes au cœur de l’activité documentaire tel le PACIFI et le rapport conjoint IGEN et IGB sur l’accès et la formation à la documentation du lycée à l’université.
- Sur l’approche pédagogique :
La FADBEN entend référer la culture de l’information aux SIC et adopter une posture d’enseignement : « le professeur documentaliste met en place un parcours de formation et évalue des connaissances et des compétences informationnelles » : il y a donc une posture d’action souveraine qui est revendiquée, une explicitation manifeste des apprentissages en jeu, de leur autonomie en tant que savoirs.
Malgré quelques modifications consenties suite aux améliorations apportées notamment par le SNES FSU, la DGESCO reprend ses positions initiales et persiste dans sa volonté de réduire notre autonomie et notre responsabilité pédagogique.
Dans la version du texte proposé le 8 juin, nous « assurions » la formation de tous les élèves à la culture et la maîtrise de l’information.
Sur ce même aspect pédagogique, la DGESCO fait machine arrière et réemploie les verbes :
- Contribuer à former,
- Participer aux travaux mettant en jeu une ou plusieurs disciplines
Quels que soient les pré-projets, ce rôle pédagogique est délayé dans un parcours encadré par le B2i et le socle :
Cf. p. 2 « Cet enseignement s’inscrit dans une progression de la 6e à la terminale, dans le cursus général, technologique et professionnel qui inclut le parcours de découverte des métiers et des formations à partir de la classe de cinquième. » (2nd projet de la DGESCO / 31 mai 2010).
Cette posture est réaffirmée par la DGESCO dans la dernière proposition du ministère mais elle devient plus précise et désigne très clairement le PACIFI comme autre texte de référence dans la progression des compétences info documentaires :
Cf. p. 2 « Cette formation développant des compétences info-documentaires s’inscrit dans une progression des apprentissages de la classe de sixième à la classe terminale, dans le cursus général, technologique et professionnel [… ] un « parcours de formation à la culture de l’information » est indispensable pour répondre à ce besoin de mise en cohérence dans chaque établissement scolaire. »
Nous trouvons dans Repères pour la mise en œuvre du Parcours de formation à la culture de l’information la même volonté de réduire le champ d’investigation pédagogique du professeur documentaliste à la seule collaboration avec les professeurs de discipline.
« Le travail en collaboration entre professeurs documentalistes et professeurs disciplinaires paraît le meilleur atout pour la réussite de ce parcours de formation ».
Nous regrettons cet enfermement dans les dispositifs interdisciplinaires, dont nous ne rejetons pas en bloc l’intérêt ni le bien fondé pour les élèves. En revanche nous dénonçons l’exclusivité et le systématisme pédagogique de la main mise des disciplines scolaires sur les apprentissages documentaires.
En aucun cas, les programmes scolaires ne peuvent être les seuls et uniques garants du « parcours » de formation proposé aux collégiens ou aux lycéens tant l’ancrage des apprentissages info-documentaires requière cohérence, durabilité, continuité et persévérance.
L’acquisition de compétences info-documentaires ne peut se satisfaire d’un saupoudrage disciplinaire, par définition discontinu et aléatoire.
Ce parcours discontinu est par ailleurs dénoncé dans le rapport conjoint de l’IGEN et de l’IGB : « Au lycée, la formation à l’information est présente partout, mais pas pour tous les élèves et rarement de manière suffisamment structurée. » (JL. Durpaire, IGEN EVS, également repris dans l’introduction du PACIFI, p.4)
Cette discontinuité résulte de l’enfermement des apprentissages info-documentaires dans les disciplines scolaires et de leur dissémination dans les programmes.
Cet dispersion ne peut que générer un déséquilibre dans la formation des élèves où nous trouvons tour à tour une surenchère des parcours de formation en 6e, en 2nde ou en 1e, au vu des dispositifs institutionnels mis en place (IRD, TPE, ECJS, PPCP) en même temps qu’un vide pédagogique en classe de 5e ou de 4e où les dispositifs institutionnels sont moins prégnants (suppression de l’obligation des IDD).
Nous dénonçons également les inégalités d’apprentissages que cela va engendrer entre établissements scolaires. Qui va légiférer sur la bonne mesure, la validité, les modalités et la mise en œuvre de la formation info-documentaire des élèves si elle est seulement incorporée aux programmes scolaires ?
Qui va fixer les priorités de collaboration, notamment en dehors des dispositifs interdisciplinaires ou transversaux ? Quels vont être les critères pour asseoir ce parcours de formation ?
Nous trouvons là les limites d’un modèle non-didactisé axé sur une compilation d’usages et pratiques méthodologiques, bien loin d’une réflexion autour d’un véritable curriculum garant de la formation des élèves à la culture informationnelle.
En conclusion : le rôle pédagogique du professeur documentaliste échappe à toute initiative de sa part, son action devient inséparable du champ des disciplines, de l’interdisciplinarité ou de la transversalité. Ceci est une conséquence d’une double négation qui occulte le champ des savoirs info-documentaires et rejette tout les acquis de la didactisation des apprentissages.
De la même manière, la DGESCO désigne le CDI comme un lieu de formation, où la responsabilité du professeur documentaliste est engagée par les activités qu’il y mène.
L’activisme documentaire n’est en rien un enseignement. Les activités définies par la DGESCO ne prennent pas en compte la dimension d’enseignement et d’apprentissage affirmée par la FADBEN et par le SNES.
Ainsi le simple terme de séquence pédagogique, proposé par le SNES, et traduisant une réalité professionnelle incontournable et incontestable, n’a pas été retenu par la DGESCO qui lui a préféré le terme « fourre-tout » d’activités.
Il en est de même pour le terme, cher à la FADBEN, de CDI conçu comme un espace didactisé de ressources.
« Le professeur documentaliste contribue par son enseignement, seul ou en collaboration avec les autres enseignants, à l’acquisition progressive des compétences et savoirs liés à la culture de l’information. »
Cette phrase issue de la première mouture proposée par la FADBEN n’a pas été amendée par la DGESCO.
C’était pourtant, dans le choix de chacun de ses termes, l’une des phrases clés de ce texte. Il y avait là la reconnaissance d’une didactique documentaire.
Cette dimension d’enseignement est reconnue par des textes officiels tels que la circulaire n°77-070 du 17 février 1977 « Le documentaliste bibliothécaire exerce une action pédagogique directe auprès des élèves pour leur enseigner les méthodes de recherche du document et du travail sur document ».
Nous nous étonnons de la suppression de ce texte de référence dans la dernière version de circulaire de la DGESCO, alors que ce dernier apparaissait dans les versions antérieures.
Enfin, nous déplorons le cadre trop prégnant des réformes actuelles (socle commun), qui réduisent les missions du professeur documentaliste à un contexte institutionnel mouvant et non pérenne (exemple du B2i lycée non reconduit). Un rééquilibrage a été amorcé entre collège et lycée. Les versions antérieures étant quasiment exclusivement basées sur un contexte collège.
De la même manière, la circulaire confond tâches et missions : il n’appartient pas à une circulaire de définir notre participation au tutorat aux accompagnements personnalisés. Que deviendront nos missions lorsque ce modèle sera remplacé par un autre ?
- Sur le champ de l’expertise
Cette confusion, précédemment abordée, est par ailleurs énoncée dès le titre de la circulaire : Missions des professeurs documentalistes à l’ère du numérique.
Le « numérique » ne se réduit pas à un contexte, c’est l’enjeu même du débat.
Nous revendiquons ce terme, non pour désigner un décor sociétal sur fond d’avancées technologiques mais bien pour cerner l’enjeu pédagogique, culturel et citoyen qu’il sous-tend.
Le terme de culture numérique n’apparaît à aucun moment du texte. En revanche, la circulaire traite volontiers des objets numériques (ressources, livres, outils, environnements). Sans disqualifier la nécessité d’aborder les objets (du) numérique(s), il nous semble primordial d’aborder dans cette circulaire, la mission fondamentale des professeurs documentalistes dans les apprentissages info-documentaires relatifs à la culture numérique.
Nous regrettons enfin l’absence, voire le déni, de toutes références universitaires sur les SIC, qui s’accordent sur la nécessaire conjugaison dans les apprentissages des cultures numériques, médiatiques, informationnelles, humanistes et informatiques (GRCDI -groupe de recherche sur la culture et la didactique de l’information- et l’URFIST de Bretagne Pays de Loire[1]).
Pourtant les politiques documentaires académiques ont souligné le champ des apprentissages info-documentaires comme un champ d’expertise :
« Un enseignement conceptuel spécifique sur des notions comme « auteur »,
« document », « source », relève bien d’une compétence spécifique et d’un savoir théorique info-documentaire en voie de constitution progressive. Le but d’une recherche n’est pas nécessairement une production mais d’abord l’activité intellectuelle qui la soutient, autrement dit l’appropriation et la découverte de connaissances, connectées avec les savoirs déjà possédés. À l’heure d’une banalisation des usages de l’Internet, il est indispensable de former les futurs citoyens à la maîtrise conceptuelle (et pas seulement technique) de l’information et des nouveaux outils, de donner une nouvelle dimension à la communication et de promouvoir de nouvelles pratiques dans l’enseignement scolaire ».
(Les IA-IPR EVS Jean-Pierre Gabrielli, Roger Keime, Eric Fardet. Septembre 2008. Académie de Rennes « politique documentaire académique »
http://espaceeducatif.ac-rennes.fr/jahia/Jahia/lang/fr/pid/6909).
De la même manière, les textes de l’IGEN ont déjà défini et évalué ce champ d’expertise :
L’école et les réseaux numériques en documentation : Annexe au rapport
de l’inspection générale de l’éducation nationale : L’École et les réseaux numériques (2002). Inspection générale de l’Education nationale, Groupe
« établissements et vie scolaire. [En ligne]
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/annexedoc.pdf
– « L’enseignant documentaliste spécialiste… »
– « Ce sont les produits issus de l’expertise qui donneront à des documents dont la source est incertaine un label de fiabilité et de pertinence que l’enseignant-documentaliste leur aura attribué. »
- Sur la responsabilité du professeur documentaliste au sein du système d’information de l’établissement :
Ici encore la responsabilité du professeur documentaliste est bien limitée. En condensé, il est responsable du CDI, du fonds documentaire et son expertise est centrée, au final, dans le dernier paragraphe sur le CDI.
« Dans le cadre des ENT, le professeur documentaliste doit jouer un rôle de conseil. »
À nouveau, l’expertise du professeur documentaliste n’est pas clairement mentionnée ni définie.
Le professeur documentaliste « joue » un rôle de conseil en raison de son expertise, en lien avec les SIC pour tout ce qui concerne l’organisation des ressources.
« La politique documentaire a pour objectif principal de permettre à tous les élèves d’accéder aux informations et aux ressources nécessaires à leur formation, participant ainsi à l’égalité des chances entre tous les élèves. »
Le postulat est encore tourné de prime abord sur les objets, outils ou supports. Il nous paraît important, au-delà du leurre techniciste, de rappeler notre volonté d’inscrire en amont la politique documentaire comme une opportunité de réflexion sur la formation des élèves à la culture de l’information.
Pour l’ANDEP
Emmanuelle MUCIGNAT,
présidente de l’ANDEP
[1] voir le 12 propositions pour un curriculum http://culturedel.info/grcdi/?page_id=236